Les appareils d'anesthésie présentent tous les mêmes fonctions de base :
- administration de gaz médicaux (débit de gaz frais [DGF]) sur un mode manuel ou automatique (ventilateur), après réduction des pressions d'arrivée (3,7 ± 0,5 bar) provenant de l'alimentation murale ou de la bouteille à la pression de travail (1 bar) ;
- mélange des gaz avec des agents anesthésiques volatils (halogénés) au moyen de vaporisateurs ou injecteurs ;
- monitorage des paramètres de l'appareil et du patient.
Caractéristiques des différents circuits
- De nombreux systèmes ont vu le jour depuis les prémices de l'anesthésiepar inhalation jusqu'à nos jours, où l'informatisation et la technique dominent. On distingue :
- les circuits ouverts (open drop anesthesia), sans réinhalation ;
- les circuits semi-ouverts (circuits de Mapleson), avec réinhalation partielle et sans absorbeur de CO2 : le DGF est supérieur à la ventilation minute du patient ;
- les circuits circulaires, avec réinhalation subtotale et absorbeur de CO2 :
- le DGF est inférieur à la ventilation minute du patient, mais supérieur au volume des gaz absorbés.
Open drop anesthesia
- Cette technique d'anesthésie historique consiste à appliquer sur le visagedu patient un masque g rillagé (masque de Schimmelbusch) contenant une gaze imbibée d'anesthésique volatil, par exemple l'éther.
- L'air inspiré traversant la bande de gaze vaporise l'agent anesthésique et amène de grandes concentrations d'anesthésique volatil au patient.
- Les inconvénients sont nombreux :
- absence de contrôle de la concentration de l'anesthésique volatil ;
- réinhalation de CO2 ;
- dilution de l'O2 par les volatils (risque de mélange hypoxique) ;
- pollution de l'environnement de travail ;
- impossibilité de contrôler la ventilation.
Les circuits de Mapleson
- En 1893, à la recherche d'amélioration des systèmes existants, Ayre invente la pièce en T pour la ventilation spontanée chez les enfants. Mapleson y ajoute une valve et un ballon en 1954 (figure 1.1).
- Tous les circuits qui dérivent de ce système comprennent :
- un tuyau réservoir : ce tuyau, d'un diamètre standard de 20 mm, conditionne le volume du système et sa compliance ; pour pouvoir diminuer les besoins en DGF, il faut que le volume du tuyau soit équivalent au volume courant du patient ; la différence entre le volume administré à chaque pression sur le ballon de ventilation et le volume reçu par le patient est d'autant plus grande que la compliance du tuyau augmente ;
- une valve de surpression : cette valve permet d'éviter des lésions secondaires à une élévation de pression (par exemple barotraumatisme) ;
- une arrivée de DGF : le DGF chasse l'air expiré chargé de CO2 à travers la valve de surpression avant chaque mouvement inspiratoire, puis remplit l'espace disponible par un mélange de gaz frais. Si le volume du système est plus grand ou égal au volume courant, la prochaine inspiration ne contiendra que du gaz frais, à condition que le DGF soit important ; sinon, il y aura une réinhalation ;
- un ballon de ventilation.
- Le circuit de Mapleson présente les avantages :
- d'être économique, simple, léger et solide ;
- d'être facile à entretenir, à laver et à stériliser ;
- de ne pas nécessiter de valve unidirectionnelle de flux ;
- de présenter des résistances faibles.
- Ses inconvénients sont :
- la nécessité d'utiliser des DGF importants pour empêcher la réinhalation du CO2 expiré en raison de l'absence de valve unidirectionnelle et d'absorbeur de CO2 ;
- la pollution importante de l'environnement ;
- la perte de chaleur et d'humidité ;
- une valve proche du patient dans les systèmes A, B, C, potentiellement inaccessible ;
- une évacuation des gaz complexe avec les systèmes E et F.
Mapleson A
Le circuit de Mapleson A est aussi appelé circuit de Magill.
- Ce système est le plus efficace des circuits de Mapleson pour la ventilation spontanée ; en effet, le DGF peut être égal à la ventilation minute car l'expiration du gaz alvéolaire se fait directement par la valve, qui se trouve à proximité du patient. Le système se remplit ensuite de gaz frais avant l'inspiration suivante.
- En ventilation contrôlée, le DGF doit être supérieur à la ventilation minute d'un facteur 2 à 3 :
- la ventilation contrôlée nécessite des pressions positives et impose unefermeture partiell e de la valve. Ainsi, le volume courant expiré par le patient ne peut pas s'échapper et remplit le système. Le gaz expiré doit être chassé par le DGF qui doit être égal à 2–3 fois la ventilation minute. Une partie de ce gaz s'échappe aussi par la valve de surpression durant l'insufflation.
- Le circuit de Lack est un circuit de Mapleson A modifié, dans lequel le DGF arrive à l'extérieur du tube coaxial, soit autour du gaz expiré.
- Ce circuit est utilisable chez les enfants de plus de 25 kg.
Mapleson B et C
Ces circuits ne sont plus utilisés.
Mapleson D
- Le circuit de Mapleson D est le plus efficace en ventilation contrôlée, car le DGF force le gaz alvéolaire à s'échapper par la valve, donc à s'éloigner du patient.
- Le circuit de Bain est un circuit de Mapleson D modifié dont le DGF est administré par un tuyau situé à l'intérieur du tube coaxial, donc entouré par le gaz expiré ; c'est le système inverse au circuit de Lack. L'avantage du circuit de Bain est de pouvoir conserver la chaleur et l'humidité par un système d'échange à contre-courant. Le gaz inspiré est réchauffé par la chaleur du gaz expiré. De plus, les gaz expirés peuvent être éliminés en évitant une pollution de la salle d'opération.
Mapleson E
- Le circuit de Mapleson E correspond au tube en T d'Ayre.
- Il est surtout utilisé en pédiatrie, car c'est le circuit qui offre le moins de résistance et le moins d'espace mort.
- Chez l'adulte, il faut utiliser un DGF élevé.
Mapleson F
- Ce circuit n'a pas été décrit par Mapleson ; il s'agit d'une modification du tube en T d'Ayre par Jackson-Rees.
- Ce système est souvent utilisé en pédiatrie, car il permet de manipuler d'une seule main le ballon de ventilation et la valve de surpression.
Remarque
- Pour les circuits de Mapleson B, C, D, E, F, il faut que le DGF soit égal à 2–3 fois la ventilation minute pour éviter la réinhalation, que ce soit en ventilation spontanée ou contrôlée. Ces différents systèmes ne sont pratiquement plus utilisés en clinique dans les pays occidentaux, hormis le circuit de Mapleson F utilisé dans certaines situations en pédiatrie.
Circuit circulaire avec réinhalation
- Dans un circuit de type circulaire (circle system), les gaz circulent dans les tuyaux de manière unidirectionnelle grâce à des valves ; les branches inspiratoire et expiratoire sont donc distinctes, sauf au niveau de la pièce en Y, proche du patient (figure 1.2).
- Ce circuit contient les éléments initiaux du circuit de Mapleson (tuyau réservoir, valve de surpression, DGF, ballon de ventilation), auxquels ont été ajoutés un absorbeur de CO2 et des valves unidirectionnelles, inspiratoire et expiratoire.
- Le circuit est dit à « réinhalation », car le gaz vecteur fait plusieurs cycles appareil–patient ; cela impose une absorption du CO2 et un remplacement de l'O2 et des gaz anesthésiques consommés.
- L'espace mort est limité à la pièce en Y, qui est le compartiment distal proche du patient. Entre les valves inspiratoire et expiratoire, les tuyaux peuvent être très longs sans que cela n'augmente l'espace mort, contrairement aux circuits de Mapleson.
- L'absorbeur et les valves augmentent les résistances du système, raison pour laquelle certains anesthésistes ne l'utilisent pas en pédiatrie et préfèrent utiliser un Mapleson E.
- Ce circuit permet de travailler avec des DGF bas, soit entre 0,5–2 l/min.
- Les avantages sont :
- une diminution de la pollution en salle d'opération ;
- une conservation de la chaleur et de l'humidité ;
- une économie de gaz (oxygène, protoxyde d'azote) et d'anesthésiques halogénés.
- Ses inconvénients sont :
- d'être lourd et encombrant ;
- d'être complexe ;
- de présenter des risques importants de déconnexion et de fuites, ainsi que des dysfonctionnements ;
- d'augmenter les résistances.
Valve de PEP (pression expiratoire positive)
- La valve de PEP peut faire partie du système circulaire, mais elle est le plus souvent intégrée à l'appareil d'anesthésie lui-même.
- Sa fonction est de maintenir une pression supra-atmosphérique dans les voies aériennes en fin d'expiration pour permettre notamment une augmentation de la capacité résiduelle fonctionnelle (CRF) par recrutement des alvéoles partiellement fermées ; cela permet une diminution de la formation d'atélectasies.
- Par ailleurs, la PEP évite les forces de cisaillement provoquées par l'ouverture et la fermeture itératives des alvéoles dans le cycle respiratoire ; ces effets contribuent à améliorer les inégalités du rapport ventilation/perfusion et la compliance pulmonaire.
- La PEP permet une optimisation globale de l'oxygénation. Sa valeur peut être fixe ou variable : au début de l'intervention, l'anesthésiste choisit habituellement une PEP de 5 mmHg, considérée comme physiologique, mais il peut être amené à l'augmenter graduellement pour améliorer l'oxygénation.
Anesthésie à bas débit
- L'anesthésie à bas débit est née d'impératifs économiques et écologiques. Le débit de l'O2 et des halogénés est fortement réduit. Un autre avantage est le maintien de l'humidité et de la chaleur des gaz expirés et inspirés.
- Le cas extrême d'une anesthésie à bas débit consiste à utiliser un circuit fermé où le DGF est égal à la consommation du patient en O2, en N2O et en agent halogéné. Ainsi, tous les gaz sont réinhalés, sauf le CO2 qui est absorbé. Les avantages d'un tel circuit sont l'absence de pollution, la conservation de la chaleur et de l'humidité ainsi que la possibilité de détecter rapidement des fuites ou des changements métaboliques.
- Un régime à bas débit provoque une élévation proportionnelle du temps d'équilibration des concentrations en gaz inhalés et alvéolaires. Ainsi, l'induction, les adaptations peropératoires et le réveil sont ralentis. En revanche, si le débit est augmenté brusquement, les concentrations se modifient rapidement. Il faut donc élever ce débit chaque fois que l'on désire adapter rapidement la profondeur de l'anesthésie.
- Le bas débit associé à l'administration de protoxyde d'azote ne doit pas être utilisé pendant l'induction ou le réveil en raison du risque de dilution des gaz provenant de l'appareil par ceux du patient (mélange hypoxique, induction insuffisante si le protoxyde est dilué).
- Lors de la phase de préoxygénation, il est également important de maintenir un débit suffisant pour assurer une dénitrogénation de la CRF du patient ainsi que du circuit circulaire. Cette dénitrogénation initiale devrait être répétée au cours de l'anesthésie pour éviter l'accumulation d'azote dans le circuit.
- Le bas débit peut entraîner une accumulation de composés toxiques dans le mélange inspiré. Ces composés sont essentiellement des métabolites provenant des anesthésiques volatils.
Absorbeurs de CO2
- La réinhalation des gaz expirés nécessite l'élimination du CO2 par le biais d'absorbeurs de CO2. Ces derniers deviennent inutiles lorsque le DGF est supérieur à 5 l/min ; les autres gaz peuvent tous être réinhalés pour autant que la fraction consommée par le patient soit compensée.
- L'absorbeur le plus utilisé est la chaux sodée, contenue dans un bac composé d'une ou de deux chambres.
- L'absorption de CO2 dépend de plusieurs facteurs, qui sont :
- le type d'absorbeur : absorbeur à chaux sodée ou à chaux barytée ;
- la formation de canaux préférentiels : si des cheminées se forment, le CO2 sera absorbé préférentiellement le long de ces conduits et l'absorbeur sera rapidement saturé. Cela peut rester invisible si le conduit ainsi formé se trouve à distance des parois du bac ;
- la taille des granules : plus la taille des granules est petite, plus la surface d'échange augmente. En revanche, si cette taille est trop petite, les résistances sont augmentées. La taille optimale semble se situer autour de 2,5 mm ;
- le nombre de chambres dans le bac : dans le cas de deux chambres, le mélange de gaz traverse les chambres en série, la deuxième chambre permettant une absorption supplémentaire lorsque la première chambre est saturée ;
- la taille du bac : plus le bac est volumineux, plus le débit de gaz peut être lent, ce qui permet une meilleure absorption et diminue le risque de circulation de poussière ;
- le taux d'humidité : une quantité trop importante d'eau diminue la surface d'absorption disponible, alors qu'une quantité trop faible d'eau retarde la formation d'acide carbonique.
- Les absorbeurs contiennent également un colorant sensible au pH qui permet d'en reconnaître facilement le taux de saturation. Le bac doit être changé lorsque 50 à 70 % de la chaux est colorée. Les colorants utilisés sont le violet d'éthyle, qui passe du blanc au violet, ou le mimosa Z, qui passe du rose au blanc, lorsque les capacités d'absorption sont épuisées.
- La chaux est irritante pour la peau, les yeux et les voies aériennes et doit être manipulée avec précaution pour éviter la formation de poussière ; la fabrication de cartouches à usage unique limite les contacts.
- L'absorbeur peut absorber puis libérer les halogénés. Il peut donc être responsable d'inductions tardives ou de réveils prolongés. Ces effets augmentent lorsque la substance est sèche.
- Lorsque le DGF est connecté avant le bac à chaux sodée, il dessèche la chaux et produit du CO. Ce phénomène survient surtout avec la chaux barytée, ce qui a conduit à son retrait en Europe, puis aux États-Unis.
- Le trichloréthylène est incompatible avec la chaux sodée en raison de la production de phosgène, un toxique pulmonaire et cérébral.
- Le fonctionnement inadéquat de l'absorbeur de CO2 se manifestera entre autres par une élévation de la FICO2, qui doit normalement être proche de zéro.
Chaux sodée
- La chaux sodée est l'absorbeur le plus répandu et contient :
- de l'hydroxyde de sodium (4 %) : NaOH ;
- de l'hydroxyde de potassium (1 %) : KOH ;
- de l'hydroxyde de calcium (80 %) : Ca (OH)2 ;
- de l'eau de Kieselguhr (14–19 %) ;
- de la silice (0,4 %) ;
- un colorant indicateur.
- Les poussières des granules sont irritantes pour les muqueuses. La silice permet de durcir la substance et d'éviter une migration des poussières vers les voies aériennes supérieures.
- 100 g de chaux sodée peuvent absorber 18–23 l de CO2 dans un bac à deux chambres et 10–15 l dans un bac à une chambre.
- L'élimination du CO2 produit de l'eau, de la chaleur et du carbonate de calcium, selon la réaction suivante :
CO2+H2O→ H2CO3
H2CO3 + 2NaOH→ Na2CO3 + 2H2O+ chaleur (réaction rapide)
Na2CO3+Ca(OH)2→ CaCO3+2NaOH (réaction lente)
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- Une partie des inconvénients provient de la réaction des anesthésiques halogénés avec l'hydroxyde de potassium ; celui-ci a été supprimé dans certaines chaux sodées (par exemple chaux de la marque Intersurgical®).
Chaux barytée
- La chaux barytée a été utilisée principalement aux États-Unis jusqu'en 2005 (actuellement arrêt de commercialisation) ; elle contient de :
- l'hydroxyde de baryum (20 %) : Ba (OH)2 ;
- l'hydroxyde de calcium (80 %) : Ca (OH)2.
- L'adjonction de silice n'est pas nécessaire, car les granules sont suffisamment durs pour ne pas produire de poussière. Il n'y a pas d'eau, car la réaction elle-même produit suffisamment d'eau.
- 100 g peuvent absorber 9–18 l de CO2 dans un bac à une chambre, un peu plus dans un bac à deux chambres.