L’ASA (American Society of Anesthesiologists) s’est engagée depuis 1985 dans l’ analyse de manière rétrospective puis prospective les demandes d’indemnisation déposées auprès de compagnie d’assurances à la suite de complications survenues au décours des actes d’anesthésie : ce projet constitue l'ASA Closed Claims Project .
Cette stratégie d’analyse a ainsi permis de dégager des axes de recherche spécifiques vers certaines pathologies ou certains dysfonctionnements .
Le fichier de données a inclus environ 5480 dossiers: 667 dans les années 70 (12%), 2935 dans les années 80 (54%) et 1784 pour la dernière décennie (33%).
La caractéristique remarquable des trente dernières années a été la réduction de la mortalité secondaire et des séquelles définitives ,inversement les plaintes pour des dommages temporaires tendent à augmenter.
La sévérité des dommages après une ALR semble apparaître légèrement plus faible en terme de gravité qu’après une AG : les décès sont plus fréquemment liés à l’AG alors que les séquelles définitives sont plus l’apanage des ALR .
The ASA Closed Claims Project is a structured evaluation of adverse anesthetic outcomes obtained from the closed claim files of 35 US professionnal liability insurance companies .A closed claim file typically consists of relevant hospital and medical records , narrative statements from involved healthcare personnel , experts and peer review, summaries of deposition from plaintiffs ,defendants and expert witnesses, outcome reports and cost of sttlement or jury award.The current data are based on a total of 5480 claims for adverse effects that occured between 1961 and 1996 : 667(12%) files in the 70’s ,2935(54%) in the 80’s and 1784 (33%) till 1995.A dramatic shift in severity of injury is apparent over time , during the last 30 years . The proportion of claims with permanent and disabling injuries , including death , declined over decades. Death is more common among the claims involving general anesthesia , while permanent-disabling and nondisabling temporary injuries are present in a higher proportion of claims associated with regional anesthesia.
1. L’ASA Claim Project : données générales
L’ASA (American Society of Anesthesiologists) par le biais de son Comité Professionnel s’est engagée à dans une analyse des demandes d’indemnisation déposées auprès de compagnie d’assurances par des patients ou leurs familles à la suite de complications survenues au décours des actes d’anesthésie.
Cette analyse rétrospective puis prospective depuis 1985 s’inscrit dans une démarche de qualité : lle constitue l'ASA Closed Claims Project (1).
Le projet de ce groupe de travail a été d’identifier les accidents liés à l’anesthésie et d'analyser les mécanismes lésionnels afin de pouvoir réduire, par une politique d’alerte et de prévention, les complications et par la même les indemnisations inhérentes souvent élevées(2).
Les éléments étudiés sont extraits de dossiers anonymes et clos, c’est à dire ayant donné lieu à une expertise et à un jugement voire une éventuelle indemnisation financière dont le montant est connu.
Trente cinq organismes, assurant professionnellement 14500 anesthésistes américains (environ 50% des anesthésistes), fournissent ainsi les données des dossiers contenant des plaintes envers les anesthésistes. Celles-ci sont alors examinées par le Comité Professionnel de l'ASA.
Cette stratégie d’analyse a ainsi permis de dégager des axes de recherche spécifiques vers certaines pathologies ou certains dysfonctionnements(2), dépassant parfois le champ de l’investigation épidémiologique pour aborder des disciplines plus fondamentales.
Le fichier de données a inclus environ 5480 dossiers essentiellement antérieurs à 1995(3): 667 dans les années 70 (12%), 2935 dans les années 80 (54%) et 1784 pour la dernière décennie (33%); compte tenu du temps nécessaire à la résolution éventuellement judiciaire mais surtout financière d’une procédure, ils ne sont pas tous représentatifs de la totalité des problèmes rencontrés lors d’une anesthésie.
Par ailleurs, les réclamations concernant les dégâts dentaires n’y sont pas inclus.
Il est à noter que dans la majorité des cas considérés il s’agit d’adultes en bonne santé opérés pour une intervention programmée sous anesthésie générale (tableau I).
L’un des intérêts du projet "ASA Closed Claim Project" est de rechercher comment les dysfonctionnements des processus de soins en anesthésie peuvent conduire à des complications sévères au delà des conséquences médicales(2).
Cette analyse cherche ainsi à distinguer les causes lésionnelles (damaging events), par exemple une impossibilité de contrôler l’airway ou une injection intra neurale, et les séquelles lésionnelles (adverse outcome), comme une atteinte de la corne postérieure de la moelle ou une perte de la vision oculaire qui conduisent à une complication .
Quatre catégories représentent prés de la moitié des mécanismes lésionnels (46 %).
Elles sont représentées par
- les erreurs thérapeutiques(3-6)
- les atteintes du système respiratoire (24%)(7,9,10),
- les troubles cardiovasculaires (11%)(7,8),
- les dysfonctionnement du matériel (10%) (11) .
De même, trois catégories de lésions (décès, neuropathies et lésions cérébrales) représentent deux plaintes sur trois (tableau II).
Ainsi, l’intérêt de distinguer et de catégoriser les causes (adverse events) et les conséquences (adverse outcome) des plaintes permet actuellement de se focaliser sur les champs de la pratique qui nécessitent une investigation plus poussée ainsi que de mettre en place de nouvelles stratégies de gestion du risque en anesthésie.
2. Analyse des trois décennies 70 , 80 et 90 :
2.1 Quelles sont les évolutions en terme de séquelles ?
Une caractéristique remarquable des trente dernières années a été la réduction de la mortalité secondaire aux actes d'anesthésies (Figure n° 1).
En effet, celle-ci est passée de 64% des motifs de plaintes à 41 % entre les décennies 70 et 90.
Les séquelles définitives tendent de la même façon à se réduire alors qu’inversement les plaintes pour des dommages temporaires tendent à augmenter.
Cette évolution favorable, en ce qui concerne les décès, s’inscrit dans une politique générale de la spécialité :amélioration des connaissances et meilleur formation, utilisation extensive du monitorage en anesthésie et des salles post-interventionnelles (3,5,6)
2.2.Quelles sont les principales lésions (adverse outcome) (figure n°2)?
De la même manière, une diminution drastique des atteintes cérébrales a été observée au cours des trente dernières années alors que les lésions neurologiques en particulier de la moelle épinière tendent à augmenter (21% des dossiers)(3,4).
Trois types de séquelles méritent une attention particulière :
- les neuropathies(12-15),
- les cécités postopératoires(3).
- et les réveils en cours d’anesthésie(16-18).
Une analyse approfondie des dossiers traitant des atteintes neurologiques a été menée en 1990 (227) et 1999 (6-10).
Ces lésions représentaient alors à chaque analyse environ 15% de la totalité des plaintes et concernaient dans plus de la moitié des cas le nerf ulnaire et les plexus brachiaux et lombo-sacrés.
Les atteintes du nerf ulnaire ont été prépondérantes; dans seulement moins de 10% des cas une cause précise n’a été retrouvée.
Cependant, il a été noté que 75% des dossiers concernaient des hommes. Cette prédominance masculine laissent ainsi supposer une prédisposition liée au sexe qui faciliterait la survenue d'une atteinte ulnaire dans certaines positions opératoires, et ce indépendamment des mesures de protections au niveau du coude. Inversement, les femmes semblent être plus exposées au risque d'atteintes du plexus brachial ou lombo-sacré(12).
La perte de la vision a été une complication rare (moins de 1% des cas).
Cependant, elle est restée particulièrement sévère et a regroupé des atteintes lésionnelles variées incluant :
- une thrombose de l’artère ou de la veine centrale de la rétine,
- une ischémie du nerf optique (88%),
- et des atteintes des voies du cortex cérébral.
Les interventions sur le rachis en décubitus ventral ou utilisant une CEC ont été les deux modes opératoires les plus fréquemment associés à cette pathologie.
Les autres facteurs de risque individualisés ont été un tabagisme, une hypertension artérielle, une obésité et une athérosclérose.
De plus, un temps moyen de séjour en salle d’opération de 9h, une hypotension contrôlée, une perte sanguine de plus de 2 litres et un hématocrite proche de 25% sont autant de facteurs surajoutés.
Il est néanmoins vraisemblable que l’étiologie des cécités secondaires à une anesthésie soit multifactorielle.
Enfin, cette atteinte a été bilatérale dans 56 % des cas. Seulement trois cas de récupération partielle ont été rapportés(3).
Plus récemment, des demandes d’indemnisation ont été déposées par des patients se plaignant de troubles psychologiques secondaires à des réveils peropératoires du fait de narcoses ou sédations insuffisantes: 79 plaintes ont ainsi été relevées dans l'année 1999(18).
2.3. Quelles sont les principaux mécanismes (adverse events) mis en cause dans la survenue de ces complications ? :
Dans la décennie des années 70, les complications liées au contrôle de l’appareil respiratoire (ventilation inadaptée, intubation œsophagienne, et difficulté d’intubation) constituaient les motifs les plus fréquents de plaintes(6).
Elles ont été réduites depuis, passant de 36% à 14 % dans les années 90.
Cette réduction concerne plus spécifiquement l’intubation œsophagienne.
Ainsi, l’amélioration et l’usage extensif du monitorage au bloc opératoire et en salle de soins post-interventionnelles (capnométrie, oxymétrie de pouls) est à rapprocher de cette diminution des plaintes liées à une complication d'origine respiratoire(3,11).
Cependant, les autres causes de complications que sont les troubles cardiovasculaires (11%), les dysfonctionnements liés au matériel, et les erreurs thérapeutiques (4%) sont restées, quant à elles, stables au fil du temps (figure n°3).
Il est intéressant de noter que la part liée au développement de nouveaux modes de prise en charge thérapeutique : l’anesthésie pour chirurgie ambulatoire, l’anesthésie pour des actes au cabinet (office –based anesthesia ) et la prise en charge de la douleur en dehors de la chirurgie est une stratégie thérapeutique associée à une augmentation constante du nombre de plaintes surtout dans la dernière décennie(3,4).
3. Que peut-on dire de la comparaison entre les complications liées à l’anesthésie générale et celles liées à l’anesthésie locorégionale (ALR) dans la dernière décennie (années 90) (figure n°4)?
Sur un collectif de 4723 dossiers, 23 % d’entre eux soit 1133 plaintes sont liés à la réalisation d’une ALR.
Trente décès ont entraîné une plainte de la famille du patient.
Parmi ceux-ci, 30 % sont secondaires à des anesthésies rachidiennes ( rachianesthésies ou péridurales )(8)et 23 % à des actes de prise en charge de la douleur.
Cependant, environ un tiers d'entre eux ont été aussi secondaires à des problèmes médicaux extérieurs à l’acte d’ALR :
- embolie pulmonaire,
- accident vasculaire cérébral,
- infarctus du myocarde
- et effets secondaires de traitements.
Un arrêt cardiaque inopiné n’a pas été le seul élément déterminant des décès secondaires aux blocs centraux.
En effet, des bradycardies sévères ont été aussi considérées comme responsables du décès des patients.
Elles ont concerné, le plus souvent, des adultes jeunes opérés pour des chirurgies mineures.
Les conséquences médicales ont toujours été d’une extrême gravité: décès ou séquelles neurologiques.
L’analyse de ces dossiers a retrouvé comme facteur associé la présence d’un bloc avec un niveau sensitif haut situé (T4).
De plus, l’arrêt cardiaque est survenu en général une demi heure après la réalisation du bloc et le retard à l’utilisation de l’adrénaline dans les manœuvres de ressuscitation a été fréquemment relevé(8).
Il est à noter que dans les années 70 et 80 les proportions de décès secondaires aux blocs rachidiens étaient respectivement de 61 et 40 % : il faut sans doute voir dans la relative baisse de ces accidents l’utilisation extensive du monitorage et l’usage des vasoconstricteurs pour réduire les conséquences du bloc sympathique.
Si l’on s’intéresse aux séquelles définitives (permanent disabling ) (figure n°5)associées aux techniques d’ALR telles qu‘une cécité monoculaire, une paraplégie, une tétraplégie ou des lésions cérébrales, on constate que les lésions oculaires secondaires à des anesthésies péribulbaires ou rétrobulbaires ont été les atteintes sévères les plus fréquemment observées.
Par ordre de fréquence, elles sont suivies par les blocs réalisés dans le cadre de la prise en charge de la douleur.
D’ailleurs, 14 dossiers sur 16 ont concerné plus spécifiquement des plaintes faisant suite à un acte réalisé pour soulager une douleur chronique(4).
En ce qui concerne le mécanisme lésionnel des atteintes nerveuses observées après bloc périphérique ou central, un traumatisme direct du à la ponction a été l’hypothèse la plus fréquemment retenue.
Enfin, deux dossiers d’indemnisation sur 14 relatifs à des blocs centraux ont eu pour cause un syndrome de l’artère spinale antérieure(3,4).
Au total, 4723 actes d’anesthésie ont abouti à une plainte suite à un décès, pour 36,5 % des dossiers en rapport avec une AG et dans 16% des cas après une ALR.
Dans les années 90, cette proportion n’était plus respectivement que de 25 % et 10 % du motif des plaintes (Figure n°6).
En ce qui concerne la sévérité des dommages après une ALR, elle semble apparaître légèrement plus faible en terme de gravité qu’après une AG(3,4).
En effet, les décès ont été plus fréquents dans les plaintes concernant une AG alors que les séquelles définitives ou non, ont été plus l’apanage des actes d’ALR (Figure n°7).
Conclusion :
Le système d’analyse des dossiers d’assurance, mis en place par l’ASA, est exemplaire par la qualité des résultats observés et les travaux qu’il génère en aval.
Il est un bon témoignage de l’évolution de notre spécialité depuis trente ans, par la réduction significative du nombre de décès, la meilleure prise en charge du système respiratoire dans son ensemble ou de la gestion des anesthésies rachidiennes mais il alerte aussi sur des phénomènes émergeants : cécité et neuropathie postopératoires, complications de la chirurgie ambulatoire ou de la prise en charge de la douleur chronique, plaintes secondaires à une mémorisation peropératoire.
En ce qui concerne le débat toujours renouvelé de l’intérêt de l’ALR par rapport à l’AG, le seul fait notable est la moindre mortalité après une ALR mais cela ne permet en aucun cas de considérer une approche comme étant plus sûre q’une autre.
Réferences bibliographiques
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Tableau I: Caractéristiques des patients américains avec une anesthésie
ayant eu une complication avec une plainte envers leur anesthésiste.
Profil des patients ayant une complication suivie d’une plainte. |
Patients âgés de plus 16 ans (91%) |
Chirurgie programmée : (75% des cas) |
Score ASA I ou II (69%) |
Anesthésie Générale (67%) |
Sexe féminin (59% des patients) |
Tableau II : Catégories et Fréquence des lésions ayant abouti
à une plainte après un acte fait par un anesthésiste américain.
Etiologies des Complications après une anesthésie ayant entraîné une plainte. |
Décès :30 % |
Neuropathie :18 % |
Atteintes des voies aériennes : 7 % |
Pneumothorax :4 % |
Inhalation :4 % |
Atteinte oculaire :4 % |
Trauma foetus, nouveau-né :3 % |
Céphalées :4 % |
AVC :3 % |
Lombalgies :3 % |
Infarctus :2 % |
Réveil per opératoire :2 % |
Brûlures :2 % |