Définition
Selon l’O.M.S, la toxicomanie se définit comme l’absorption volontaire, abusive, périodique ou chronique, nuisible à l’individu et à la société, de drogues ou substances naturelles ou synthétiques.
La cocaïne
La cocaïne a des effets de courte durée (demi-vie : 30 min) et le patient est asymptomatique 2 heures après la prise.
La cocaïne peut être sniffée (100 mg par sniff en général), ingérée voire inhalée.
La cocaïne inhalée est préparée en chauffant du chlorhydrate de cocaïne en présence de bicarbonate de sodium, ce qui permet d’obtenir le « crack ».
Ce mode d’administration permet une absorption rapide et fugace.
Le principal danger du crack est une dépendance d’installation très rapide, entraînant une consommation pluriquotidienne, conduisant à une marginalisation avec criminalité.
L’héroïne
La voie d’administration la plus utilisée est la voie IV mais d’autres voies sont utilisables (orale, inhalation). Cette utilisation de la voie IV est responsable de la forte prévalence des maladies virales
(HIV+ : 16%, HCV+ :52%, 85% de HCV+ chez les HIV+) dans cette population.
De plus, tuberculose (2%),
maladie sexuellement transmissibles (8%),
septicémies (5%) et infections veineuses (14%).
L’héroïne se vend le plus souvent « coupés » de 30 à 70%, puis mélangés avec du phénobarbital.
Les usagers d’héroïne sont le plus souvent des polytoxicomanes et y associent volontiers alcool, BZD (RohypnolÒ), barbituriques voire cocaïne (« speedball », la cocaïne a ici pour but d’antagoniser les effets indésirables des opioïdes) et amphétamines.
Autres produits
Ils sont nombreux. Par argument de fréquence,
la codéine (Néocodion) est un des produits les plus utilisés pour ses effets morphinomimétiques (11 millions de boîtes vendues par an).
Les benzodiazépines sont souvent utilisés en association aux autres drogues, héroïne notamment. Les amphétamines sont encore utilisés, souvent sous forme d'ecstasy.
L'ecstasy (3,4-methylenedioxymetamphetamine) est consommée pour ses effets amphétamine-like (sensation d'augmentation de l'énergie physique et mentale, pas d'effet hallucinatoire). Les risques principaux de l'ecstasy sont l'hyperthermie (>40°C) quelquefois fatale, l'hépatite aiguë, et l'hyponatrémie aiguë.
Le cannabis reste la drogue la plus consommée.
PRINCIPALES COMPLICATIONS SOMATIQUES DE LA TOXICOMANIE
Elles sont au nombre de 3 :
- le surdosage (overdose),
- le sevrage,
- les complications liées à la toxicomanie
1. le surdosage (overdose),
Il peut compliquer toute prise de produit illicite quel qu'il soit et peut entraîner le décès de l'utilisateur. Les symptômes diffèrent selon la catégorie de produits consommés.
surdosage en héroïne =traitement d'un surdosage en morphine
éviter l'utilisation de dose trop importante de naloxone (=sevrage aigu),
prévenir une hypovolémie par un remplissage,
ne pas hésiter à ventiler les patients.
Le surdosage en cocaïne pose plus de problème, du fait de complications dose/dépendantes qu'il induit au niveau cardiaque, pulmonaire voire neurologique. Leur traitement est symptomatique
2. le sevrage,
Possible avec toutes les substances sus-citées sauf les hallucinogènes et les solvants ("colle", tricLe sevrage des opiacés (héroïne, morphine, etc…) apparaît de 4 (héroïne) à 12 heures (méthadone) après la dernière dose,
maximal entre la 24ème et la 72ème heure. Il persiste le plus souvent pour disparaître spontanément en 7 à 10 jours.
Le tableau est caractéristique : anxiété puis bâillements, transpiration, larmoiement, rhinorrhée, puis mydriase, pilo-érection, tremblements, douleurs musculaires, frissons puis fièvre, nausées, agitation, insomnie, HTA puis enfin vomissements, diarrhée. Tous ses signes s'associent au cours des heures.
hloréthylène).
Le sevrage aux benzodiazépines et barbituriques
le plus dangereux et peut conduire au décès .
Après des signes prémonitoires à type d'anxiété, insomnie, anorexie puis délire, confusion, le tableau évolue vers un état de mal convulsif.
Ce syndrome d'abstinence apparaît après un à quelques jours d'abstinence selon la demi-vie du produit utilisé.
Ce sevrage est quelquefois difficile a anticiper, les patients ne sachant pas toujours quel produit ils consomment, ni à quelle dose.
La polytoxicomanie fréquente des héroïnomanes invite à leur prescrire systématiquement des benzodiazépines lors de leur hospitalisation, en association à la morphine.
Le sevrage du cannabis
peut entraîner une anorexie, des nausées, une insomnie, une agitation.
Le sevrage de la cocaïne
entraîne une fatigue intense avec sommeil prolongé, une faim vorace mais aussi une dépression voire des hallucinations. Ce sevrage ne nécessite pas de traitement particulier mais une prise en charge psychiatrique peut s'avérer nécessaire.
Enfin, la prise concomitante d'alcool étant habituelle, un delirium tremens peut compliquer le tableau clinique et le diagnostic étiologique de l'état d'agitation du à un sevrage en substances toxicomanogènes
3. les complications liées à la toxicomanie
Les complications infectieuses
fréquentes avec la voie intraveineuse.
virales : HIV, hépatite C, hépatite B, infection HTLV.
bactériennes : endocardite, anévrisme mycotique, abcès veineux et cutanés, thrombophlébite septique, fasciite nécrosante, tuberculose, abcès dentaires.
infections opportunistes liées au SIDA
Le tétanos.
D'autres complications somatiques liées au produit utilisé peuvent survenir :
Avec l'héroïne
asthme, OAP lésionnel, hépatite, rhabdomyolyse, occlusion intestinale (ingestion de sachets), malnutrition, myélite transverse, neuropathie périphériques, glomérulonéphrite.
Avec la cocaïne
nécrose du septum nasal, angor, infarctus du myocarde, trouble du rythme, hémorragies alvéolaires, bronchiolite oblitérante.
A ces complications, il faut ajouter celles résultant de la malnutrition, de l'alcoolisme et du tabagisme chronique.
PRISE EN CHARGE PRÉOPÉRATOIRE DU TOXICOMANE
L'accueil et l'évaluation préopératoire du toxicomane
La consultation d'anesthésie précoce pour:
- évaluer l'état du patient vis à vis de sa consommation de stupéfiants (surdosage, sevrage, dernière prise, type de produit utilisé)
- mettre en place une thérapie de substitution.
- rassurer le patient, établir un contrat entre le médecin, les infirmières et le patient
- définir les règles que le toxicomane aura à respecter dans la structure hospitalière.
Les visites extérieures devront être limitées au strict minimum.
La consultation d'anesthésie devra prendre en compte les spécificités de la toxicomanie du patient en termes de:
- complications potentielles,
- d'interaction avec les agents anesthésiques
- et de prise en charge de la douleur pré, per et postopératoire.
Aucun bilan paraclinique n'est obligatoire, cependant, il est recommandé de pratiquer un certain nombre d'examen complémentaire systématique
Préparation préopératoire : éviter le sevrage
Le principe général : apporter au minimum la "ration" quotidienne du toxicomane héroïnomane jusqu'à l'intervention.
Pour les autres substances non opioïdes (cocaïne, amphétamine, ecstasy, LSD, cannabis, solvants), on veillera plutôt à l'absence de prise illicite préopératoire.
PRISE EN CHARGE PEROPERATOIRE DU TOXICOMANE
Les patients toxicomanes sont des patients à haut risque vis à vis de la contamination par le HIV et le HCV, et sont à risque d'affections opportunistes type tuberculose.
De fait, les précautions d'usage devront être prises : port de gants, utilisation de robinet à 3 voies comme site d'injection.
pratiquer les interventions sur les toxicomanes en fin de programme, et de prévoir une désinfection de la salle d'opération et du matériel après usage.
La mise en place de voie veineuse peut être difficile.
La pose de voie veineuse centrale est recommandé.
l'utilisation d'une séquence rapide est justifiée.
L'utilisation de l'ALR doit être préférée tant que possible.
L'utilisation de cathéter postopératoire permettra de prolonger l'analgésie postopératoire, et de conserver les doses préopératoires de BZD et de morphine-méthadone-Subutex.
En cas d'AG, on utilisera des doses augmentées d'hypnotique (+30%) chez l'héroïnomane par rapport à un patient non héroïnomane.
De plus, l'induction enzymatique produit par la prise chronique d'alcool conduit quelquefois à majorer de façon importante les doses d'hypnotiques.
Les morphiniques de haute affinité (sufentanil) sont particulièrement bien adaptés.
Le rémifentanil ne présente aucun intérêt, voire semble dangereux dans ce contexte.
On évitera d'utiliser les agents arythmogènes (halothane) ou à stimulation sympathique (kétamine) chez le cocaïnomane.
On évitera chez le toxicomane un réveil trop brutal, générateur d'angoisse et d'agitation.
La naloxone est un produit dangereux (sevrage aigu) chez le toxicomane héroïnomane
PRISE EN CHARGE POSTOPÉRATOIRE DU TOXICOMANE
La conduite est simple et consiste à :
- traiter la douleur de la chirurgie
- sans oublier d'y ajouter le traitement du sevrage.
En cas d'ALR, ou de chirurgie peu douloureuse, on continuera le traitement établi en préopératoire, en reprenant le traitement substitutif par méthadone ou Subutex, ou en injectant toutes les 4 heures la dose de morphine (ration de base/6) calculée.
Les antalgiques mineurs doivent être utilisés. En cas de chirurgie douloureuse, on réalisera une titration IV (en augmentant les bolus : 5 à 10 mg, le plus souvent) jusqu'à obtention d'une analgésie efficace.
Le relais sera pris par voie SC ou IM sur la base de la dose titrée toutes les 4 heures.
Le risque de surdosage volontaire ou non est réel.
La prescription de BZD sera maintenue en cas de prise préopératoire.
La simplicité ne signifie pas absence de surveillance, et ces patients devront être réévalués toutes les 4 heures au minimum afin de dépister un début de sevrage ou un surdosage.
Généralement hospitalisation de courte durée.
PRISE EN CHARGE DE LA PARTURIENTE TOXICOMANE
Patiente à haut risque de complications maternelles et fœtales.
Les patientes toxicomanes sont à risque de grossesse compliquées (décollement placentaire, hémorragie de la délivrance, placenta prævia, avortement spontané, mort in utero, pré éclampsie).
Les règles de prise en charge sont identiques à celles décrites ci-dessus.
L'analgésie péridurale est particulièrement indiquée chez ces patientes.
Concernant l'anesthésie pour césarienne, il semble que la consommation de cocaïne ne majore pas le risque maternel.
Le risque de syndrome de sevrage aux opiacés chez le nouveau-né est de 70%.
Son traitement se fait à base de phénobarbital voire d'opiacés.
Cette prise en charge nécessite, là encore, des pédiatres habitués à ces prises en charge et une surveillance en unité de néonatalogie.
La majorité des substances toxicomanogènes passe dans le lait maternel.
CONCLUSION
La prise en charge péri opératoire d'un patient toxicomane est médicalement et psychologiquement difficile.
Une attitude d'écoute sans complaisance, une explication claire du contrat de soin que l'on passe avec lui, l'assurance donnée que l'on préviendra ou que l'on traitera un éventuel syndrome de sevrage, sont les bases essentielles d'une hospitalisation sans trop de souffrance pour le patient et l'équipe soignante.
Dans ce contexte, l'aide d'un expert (psychiatre le plus souvent) dans ses prises en charge est appréciable.
A défaut de ce type d'aide sur place, une formation d'un ou plusieurs membres de l'équipe soignante est recommandée.